samedi 31 octobre 2009

Jour 252 - Une mauvaise décision….

Chaque jour, nous devons prendre des décisions. Heureusement, elles n’ont pas toutes les mêmes répercutions. L’enfant qui décide de jouer avec le camion plutôt que l’auto, l’ado qui décide de boire un lait au chocolat plutôt qu’un lait ou l’adulte qui décide d’aller voir un film de Megan Fox plutôt qu’un autre de Bruce Willis sont autant d’exemples de décisions banales sans grandes conséquences. Par contre, certaines autres décisions peuvent avoir des conséquences à long terme, par exemple choix d’une orientation à l’université, choix d’une partenaire de vie, refuser un certain emploi, etc.

Mardi le 27 octobre 2009, j’ai pris une des plus mauvaise décision de ma vie. Depuis plusieurs semaines tout mon entourage me disait que c’était la meilleure chose à faire, que cela accélèrerait le processus de guérison, que ce serait la fin de la douleur. Moi, je n’y croyais pas. Je déteste ces endroits, je déteste le traitement, je déteste juste l’idée. Mais en ce matin du 252ième jour de souffrance, j’avais des frisons. Pour la première fois de ma vie, j’avais froid dans mon bureau [il faut préciser, que je garde toujours la température de mon bureau à 18°C, ce qui est froid pour la plus part, mais parfait pour moi]. La douleur était intense et je faisais possiblement de la fièvre, je n’avais plus le choix, il fallait me rendre à l’urgence.

Cette mauvaise décision étant prise, une autre surgissait de ce fait. J’y vais en ambulance, en taxi ou à pieds ? L’ambulance fera meilleur effet au triage mais faire venir l’ambulance au travail serait plutôt embarrassant. Ma décision, à pied : ainsi la douleur sera encore plus intense une fois sur place.

J’arrive à l’urgence de St-Luc à 11h45, il n’y a qu’une seule personne devant moi. Elle est assise sur la chaise numéro 1 et moi sur la chaise numéro 2. Les quelques minutes d’attentes sont pénibles. La marche jusqu’à l’hôpital a portée ses fruits. J’ai chaud, je suis blême, j’ai l’impression d’être à deux doigts de perdre conscience et j’ai mal. Lorsque le numéro un se lève, je reste sur ma chaise à me tordre de douleur. Un petit con vient s’installer devant moi. Je lui dis poliment que la ligne est de l’autre côté. Il me répond dans un langage d’ado semi compréhensible qu’il veut juste faire signer un papier.

Lorsque la dame du triage appel le suivant, je me lève en même temps que Du con et je me précipite dans le local, je glisse et m’affaisse au sol. La dame en panique me regarde me relever et m’assoire alors que Du con est débout et commence son baratin. En deux seconde, la dame comprend qu’il ne parle pas pour moi. « Excusez-moi, vous êtes avec lui ? ». « Non, j’ai juste… » Et à moi t’intervenir. « C’est mon tour mais ce jeune homme essaie de passer devant moi ». Elle lui demande de sortir, s’empresse d’appeler un préposer avec une civière, je ne fait que répéter « pouvez-vous me donner quelque chose pour la douleur », et elle se lève pour aller porter mon dossier. Entre temps un préposé arrive et me demande si je peux me lever pour aller sur la civière. Je m’exécute avec son aide. Et me voilà dans le corridor, couché sur une civière, j’ai contourné le triage.

Un préposé s’approche, en me tendant une jaquette bleue il me demande de tout enlever, sauf mon caleçon, et d’enfiler la jaquette. Il ne précise pas, mais c’est un sous entendu, que je dois également abandonner ma dignité avec mon pantalon et ma chemise. Ça fait à peine 20 minutes que je suis dans l’enceinte de l’urgence, qu’un autre préposé arrive, accompagné d’une jeune dame, probablement en formation, avec une boîte en plastic blanc qui ressemble à un coffre d’outil. Il dépose le tout sur la civière et m’annonce que le médecin [que je n’ai pas vu, bien sur] m’a prescrit des anti-douleurs. Il commence par me tapoter le bras gauche à la recherche d’une veine assez bête pour se montrer. Toutes n’étant pas créées égales, il y en a une qui se pointe le bout du nez et vlam ! Une seringue en plein front. La pauvre s’est fait siphonner en deux temps trois mouvements. Deux contenants de sang plein plus tard, un coton blanc coincé dans un sparadrap bouchait le trou. Le proposé sort ensuite une corde en caoutchouc et me l’attache autour du bras afin de faire sortir les veines, un peu plus futées, de leur cachette. Avec la dextérité d’un manchot, il m’enfonce l’équille qui allait servir à alimenter mon corps d’un savoureux soluté qu’il installe bien haut sur mon poteau. Il relève la manche de ma jaquette et s’empare d’une autre seringue, celle-ci contenant un jus qu’on appel amicalement de la morphine mais qui est en fait du Dilaudid 2mg. Pour celle-ci, il ne sembla pas avoir besoin de veine car il me l’enfonce au hasard dans le bras gauche. Une violente sensation de brûlure s’empare de mon bras, une douleur assez saisissante, quand le préposé m’annonce « attention sa va brûler un peu ».

Malgré le fait que la morphine ne fût qu’à ces balbutiements, une sensation de bien être s’emparait tranquillement de moi quand une autre décision devait être prise. Le préposé, légèrement efféminé, arborant un grand sourire me demande si je voulais qu’il installe le suppositoire ou si je préférais le faire moi-même. En voyant son sourire un peu nunuche, je me suis dit que c’était une blague et j’ai répondu que j’allais simplement m’en passer. Mauvaise réponse; ordre du « médecin invisible ». Comme j’avais déjà abandonné ma dignité quelques minutes plus tôt, rien ne m’empêchait d’abandonner, cette fois, mon rectum, encore vierge, à ce préposé, on ne peut plus heureux d’obéir aux ordres du médecin sans nom. Le bruit du lubrifiant férocement extirpé de son réceptacle est mémorable, il reste gravé dans notre mémoire malgré les effets hallucinogènes de la drogue. « Serrez les fesses pour qu’il entre tout seul, sinon je vais devoir l’enfoncer plus creux » furent les paroles prononcés avant que je serre les fesses comme jamais auparavant. Je crois qu’elles sont restées ainsi contractées plus d’une demi heure après le départ de mon nouveau copain [bien quoi ? après avoir été aussi intime, il mérite sûrement ce qualificatif, non ?].

Pendant des heures, je lutte pour rester éveillé malgré les effets de la morphine. Je suis dans le corridor que tous les patients en civière doivent emprunter pour se rendre dans les salles de traitement de l’urgence. La va et vient est constant. Quand je regarde ma montre, il est 15h00, je suis dans ce corridor depuis plus de trois heures. Cette fois, c’est une préposée qui vient me voir pour s’enquérir de l’état de ma douleur. Je classe ma douleur où sur une échelle de 1 à 10 ? Encore, une décision à prendre. À peine ai-je répondu 8 qu’une autre seringue juteuse se déversa dans mon épaule gauche. Le venin brûlant me prit encore par surprise.

À 16h30, un autre préposé [lui, s’en était un vrai, les autres étaient probablement des infirmières] est venu pour m’annoncer que j’allais passer un CT Scan pour voir l’emplacement exact de la pierre. Il me trimballe dans les dédales des corridors de l’urgence jusqu’à la salle de radiologie. Une jeune hispanique me demande si je suis en mesure de me déplacer de la civière à la machine, ce que j’exécute sans difficulté. « Arrêtez de respirer », « respirez », « arrêtez de respirer », « respirez », et voilà tous les secrets de ton corps sont enregistrés sur une bande vidéo en trois dimensions.

En sortant de la salle de radiologie on me place dans un corridor, devant le numéro 46, un peu plus éloigné de là où j’étais plus tôt. Ici, il n’y a pas de va et vient de patient, seulement celui du personnel. L’infirmière vient me voir à 18h00 pour m’informer que le médecin viendra me voir demain matin avec les résultats du Scan et la suite des procédures. Entre temps, elle doit prendre mes signes vitaux. Elle dépose donc sont coffre à outils blanc sur ma civière, attrape mon bras droit [en changeant de place, j’ai aussi changé de côté du corridor, alors c’est mon bras droit qui est plus facilement accessible] et ce met a chercher des veines. Désolé mais on ne nous trompe pas deux fois. Aucune d’entre elles ne daigne se pointer le bout du nez. Qu’à cela ne tienne, du haut de ses 25 ans et ses 200 livres bien sonnées, elle n’en a que faire. Elle insère la seringue n’importe où dans le creux de mon bras et une fois dans la peau, elle cherche la veine à tâtons. Une douleur quand même digne de mention se propage dans mon bras. Finalement, elle parvient à me vider de deux autres tubes de sang. Elle m’enfonce une autre seringue juteuse dans l’épaule, toujours la droite, et m’injecte ce nectar qui me rend qu’à demi lucide. Ensuite, elle de demande de me coucher sur le côté, bien sûr, l’anus vers elle. Regardant vers le mur, j’entends à nouveau le son du lubrifiant extirpé de son réceptacle avec entrain, ce son si inquiétant. Puis, on entend qu’un « flouch » suivi d’un « serrez les fesses maintenant ».

Quand les lumières se ferment à 21h00, on commence déjà à mieux connaître nos voisins de corridor. Chacun ayant droit à une visite de son infirmière pour s’enquérir de son mal ou pour se faire insérer multiples substances par des orifices existants ou créés pour l’occasion. Derrière moi, un homme d’approximativement mon âge, souffre d’une pierre au rein. Il a eu le même « scan » que moi mais sa pierre doit être logé directement dans l’uretère car la douleur semble atroce. On entend ses gémissements constants et chaque 90 minutes il appel son infirmière pour recevoir une injection. Devant moi, un homme beaucoup plus âgé attend pour une opération d’urgence. Sa vessie est congestionnée et une sonde a été insérée pour permettre l’évacuation de l’urine. Malheureusement, certains caillots de sang engorgent l’orifice ce qui lui cause des douleurs cruelles. À tous les deux heures, l’infirmière doit retirer la sonde pour faire évacuer le sang et remettre la sonde, le tout dans le corridor bien sur. De toute évidence, lui aussi avait abandonné sa dignité avec son pantalon et sa chemise en entrant.

Comme chacun sans doute, l’urgence est toujours ouverte. Il y donc un constant va et vient de personnel et d’équipements qui n’ont absolument aucune considération pour les malades dans le corridor qui ont bien besoin de sommeil pour survire aux atrocités qui les attendent. Les employés parlent entre eux à voix haute. On vient cherche le voisin d’en avant pour son opération. Un autre patient qui arrive en pleine nuit prendre la place de devant, bien sûr, accompagné d’un proche afin d’entretenir une conversation à 2 heures de matin, sans la moindre considération pour les autres. Le voisin d’en arrière qui ne cessent de gémir et finalement l’infirmière qui vient me voir à toutes les 3 heures pour prendre mes signes vitaux.

Le matin du 253ième jour, les lumières s’allument à 6h00. Sans vraiment avoir dormi de la nuit, la douleur est nettement moins importante. Lorsque l’infirmière vient me voir je refuse l’injection en prétextant que cela m’étourdit et que je préfère endurer la douleur qui est tombé à 6. À peine 30 minutes plus tard, une jeune médecin [max 27 ans] se présente à mon chevet en se présentant comme l’urologue qui va s’occuper de moi. Bonne nouvelle, le médecin invisible d’hier est la en chair et en os. Elle doit aller consulter le scan et reviendra me voir avec la suite. Elle s’inquiète de mon refus de l’anti-douleur mais je la rassure en disant que lorsque je ne serais plus en mesure d’endurer, je ferai signe à l’infirmière.

Quelques minutes plus tard, les déjeuners arrivent. On commence la distribution par le numéro 49, derrière, donc mon tour arrivera rapidement. Faux. Devant le numéro 46, le préposé prononce un code que son compagnon interprète comme voulant dire « lui reste à jeun ». Le numéro 47 derrière moi termine sont déjeuner quand le médecin lui donne son congé. Il n’avait pas de pierre, elle avait sans doute passée la veille. Le gars se plaignait pour rien. On n’a pas toute le même tolérance à la douleur faux croire.

La matinée s’éternise alors que le centre de vaccination des employés de l’urgence est à deux portes de mon emplacement. Tous les commentaires sur les raisons qui justifient la prise du vaccin contre la H1N1 et ceux contre circulent en toute liberté dans le corridor, comme les autres microbes et bactéries qui envahissent l’urgence.

Vers 11h30, un autre médecin vient me voir. Celui-ci est un homme plus âgé, la barde et les cheveux blanc, qui tient mon dossier entre ses mains. Le résultat du scan confirme que la pierre se trouve dans le rein, juste au dessus de l’uretère. La pierre doit bouger, ce qui cause les douleurs. Il me propose, à ma grande stupéfaction, un traitement de lithotripsie par onde de choc. Je lui réponds que j’en ai déjà eu deux qui ont échoué. Il me réponde « quand ça » « au début d’octobre ». Le dossier entre ses mains est-il celui de quelqu’un d’autre ? Il n’a pas pris la peine de lire mon dossier, car tous mes autres traitements ont été fait à St-Luc. Je ne suis pas un patient avec un prénom et un nom, non, je suis le numéro 46. Pour eux, la douleur du numéro 46 à commencé il y a 24 heures mais pour moi, c’est le jour 253. Il propose alors d’insérer un double « J » par les voix naturelles pour atténuer la douleur. Je lui réponds que mon médecin, qui est ici à St-Luc, prétend que ce dont j’ai besoin c’est une « uretèroscopie ». Le brave médecin acquiesce mais il faudra prendre un rendez-vous pour ce traitement. Entre temps c’est le double « J » par voix naturelles. Malheureusement, je n’ai pas de voix naturelles pour insérer ce type de broche dans mon uretère. Il sourit en répondant que c’est une façon de parler mais que je n’ai pas à m’inquiéter car ils vont me geler le bas du corps pour cette intervention. Il me tend un papier que je dois signer pour autoriser l’intervention. Je signe.

Lorsque le chariot transportant les repas du midi arrive dans notre secteur, je sais bien qu’il n’y aura rien pour moi. Je suis à jeun depuis 30 heures et sous les effets du manque de sommeil, de la douleur et des relents de la morphine de la veille. Malgré tout, je réfléchi à ce traitement que j’ai accepté. Pourquoi me proposer une solution palliative plutôt que la solution qui règlerait mon problème ? J’ai pris la décision de venir à l’urgence en croyant qu’ainsi, j’allais voir cette douleur qui n’en fini plus s’évaporer comme un vieux cauchemar mais le vrai cauchemar, c’est cette civière numéro 46, ce corridor de l’enfer, cette urgence pleine de maladie où l’on peut voir les virus courir sur les murs et le plancher. Le vrai cauchemar, c’est toutes ces injections de morphine, c’est d’être à jeun depuis si longtemps, d’être aussi fatigué, épuisé et de penser que ce soir [on ne peut savoir l’heure exact] je vais me retrouver les jambes écartées, les pieds sur des étriers alors qu’un médecin s’efforcera d’enfoncer une broche dont les deux extrémités sont en forme de « J », d’où sont nom double « J », dans mon pénis sans défense, endormi par l’anesthésie d’une épidurale.

Une autre décision à prendre, que faire maintenant ? Quand nous sommes devant un médecin, en souffrance, on ne peut qu’accepter le traitement qu’il nous propose, convaincu que ce dernier c’est ce qu’il faut faire. Quand j’ai accepté la cystoscopie, qui s’est avérée l’expérience la plus douloureuse de ma misérable vie et qui s’est avérée aussi inutile que les Tylenol le sont pour chasser ma douleur, je croyais que le médecin avait raison. Mais depuis les 253 jours que je lutte contre notre système de santé pour simplement me faire soigner, j’ai bien compris que tous les médecins n’ont pas eu 90% à leur examen final. Et aujourd’hui, je prends la décision de contester son opinion.

Une des plus mauvaises décisions de ma vie allait être corrigée par une de mes meilleures vers 14h30 quand j’ai appelé l’infirmière pour lui annoncer que je renonçais au traitement proposé. J’ai signé la décharge, me suis habillé [avec mon soluté au bras] puis j’ai demandé à l’infirmière si elle allait me l’enlever ou si je devais le faire moi-même. « Vous ne voulez pas attendre que le médecin vienne vous voir ? ». Pour qu’il me sorte son verbiage à l’effet que si je quitte sans ce traitement je risque de perdre un rein. Pas besoin, il me l’a déjà dit ce matin. « Non ». Elle m’enlève tout l’attirail, comme on enlève les menottes d’un prisonnier. Comme ce dernier le jour de sa libération, je récupère mon portefeuille et mes cartes, je jette un dernier regard vers la civière numéro 46, et je sorts dehors pour prendre une première bonne bouffé d’air depuis une éternité. Évidemment, en posant le pied dehors, la douleur s’intensifie.

À 16h00, me voilà enfin de retour à la maison. Première chose que je fais, je plonge dans mon assiette de spaghetti et je m’empiffre comme un goinfre. Quelques heures, plus tard, une violente diarrhée se jette sur moi pour me vider d’un coup sec. Je tremble de frisson, ai-je la fièvre ? Est-ce à dire que le médecin disait vraie et que je vais perdre mon rein ? Je prends ma température : 36,7C, donc rien d’inquiétant. Je prends un Imodium et je vais me coucher.

Jour 254, je me lève dans un état lamentable. J’ai un mal de tête comme jamais j’en ai eu [en fait avant le début de cette aventure, je n’avais presque jamais pris de Tylenol ou d’aspirine], la nausée, la diarrhée, j’ai toujours des frissons et j’ai mal. Arrivé au travail, je n’en peu plus, ma tête va exploser, mes yeux me brûlent. Je me sens si mal que, je suis convaincu que ce sera bientôt la fin. Je dois préparer mes papiers, mes assurances et mon testament qui n’est pas à jour. J’accepte cette fatalité à ma grande surprise. Il est maintenant certains que je ne serai plus jamais comme avant. Tous ces jours où j’espérais un jour voir mon calvaire prendre fin et reprendre un semblant de vie normale n’étaient que pure fabulation. Cette fois, il est clair que ce ne sera pas le cas. Je serais très étonné de voir un jour de l’an 2010.

Le lendemain, jour 255, tout c’est replacé. Je n’ai mangé qu’un sandwich à 15h00 la vielle mais ce matin j’ai faim. Je n’ai d’autres maux que ceux qui me taraudent depuis plus de 8 mois. Finalement, peut être que la veille j’étais en sevrage de toute la morphine, le soluté et la fatigue…. Peut être que je serai là au jour de l’an 2010 [avec un ou deux reins ?].