vendredi 28 août 2009

La lithotripsie

Ce matin là, la température était idéale. L'humidité des derniers jours s'était dissipée laissant place à de l'air chaud mais sec. Les nuages avaient pris congé pour profiter de cette journée radieuse. Au volant de mon véhicule, plus j'approchait de l'hôpital plus je transpirait. L'augmentation de mon rythme cardiaque et de la circulation sanguine faisait monter ma température au point que mon front en devenait moite.

Arrivé sur la rue St-Denis, à ma grande surprise tous les espaces parcomètre sont libres; ce qui n'est certes pas bon signe. En effet, il y a interdiction de stationner avant 9h00 partout alors qu'il n'est que 8h25. Soit dit en passant, mon rendez-vous est pour 10h00. Nous végétons donc dans le véhicule jusqu'à 9h00 avant de se lancer dans une petite balade dans le coin malfamé de St-Laurent et St-Catherine.

9h45, je me présente au comptoir d'accueil où l'on s'empresse de me demander un échantillon d'urine alors que je suis à jeun depuis minuit la veille. Mon petit pot rempli, on m'invite à passer dans une chambre à trois, de me déshabiller et d'enfiler une somptueuse jaquette bleue. Les légers motifs sur la jaquette de l'hôpital St-Luc font classe par rapport aux jaquettes décolorées de l'hôpital Sacré-Cœur. Nue comme un vers sous cet accoutrement de fortune, les jambes croisées sur mon lit d'hôpital, j'attends mon tour pour passer devant le bourreau. L'infirmière nous informe que je vais passer vers les 11h30, mon appendice aura le temps d'attraper un courant d'air d'ici à ce temps là, ne puis-je m'empêcher de penser.

11h45, un préposé qui rêvait, étant enfant, de devenir comédien mais qui a mal tournée, est venu me chercher. Coucher sous un drap, le corps crispé, j'observe le plafond alors que le préposé me promène dans les corridors en me racontent que je ne devrais pas m'en faire puisqu'une fois anesthésié, je ne verrais pas les perceuses Mikita ni les scies Black & Decker qui seront disposées à mes côtés pour fin de l'intervention. J'ai l'impression d'être un condamné qui est conduit à la potence : « walk the line » comme disent les prisonniers américains condamnés à l'injection.

Arrivé au bloc opératoire, le futur candidat au titre de monsieur festival juste pour rire m'abandonne tout simplement dans une salle on l'on empile les lits comme le font les transporteurs avec leurs remorques dans la cours. Au bout d'une dizaine de minutes, on vient placer la civière d'une femme dans la trentaine à quelques centimètres de la mienne; nous sommes en ligne, attendant notre tour. Quand le médecin vient lui raconter son intervention pour une tumeur aux ovaires, me corps se détend. Soudainement, le niveau d'angoisse s'estompe, mon intervention ne me semble plus aussi effrayante.

Il fallait bien que ce moment arrive. Une infirmière est venue me chercher pour me rouler jusque dans la salle d'opération. Une immense machine suspendue au plafond pointe vers le lit dont le cuir noir fait miroiter l'imposant éclairage qui projette sa lumière pour qu'il ne fasse aucun doute de l'endroit où je dois me diriger. Trois individus se cachent derrière une section vitrée alors que l'infirmière monte le niveau de ma civière afin d'arriver à niveau avec le lit de la torture. « Glisser vous sur le lit » me dit-elle, le visage arborant un rictus sensiblement sadique.

Dès que je m'exécute, un des sbires quitte son poste derrière la baie vitrée pour prendre place à mes côtés. Il m'enlève le haut de ma jaquette pendant que l'infirmière recouvre mes jambes avec mon drap. « Je vais vous installer ces électrodes afin que nous puissions vérifier vos signes vitaux pendant l'intervention » dit-il en me collant des plaques de métal sur la poitrine et sur le côté gauche de la cage thoracique. Les deux acolytes disparaissent pour laisser place à l'anesthésiste. Ce dernier m'enfonce une aiguille dans la main gauche à laquelle est rattaché un soluté. Il faut admettre qu'il a fait un travail remarquable car aujourd'hui je n'ai qu'un tout petit point rouge sur la main, pas une seule présence de bleu, de jaune ou de mauve.

Le médecin fait son apparition pour s'assurer que tout est en place puis il disparaît derrière le mur de vitre. L'infirmière revient pour remplir un cousin d'eau chaude sous mon dos et mes fesses. De l'eau chaude aux effets thérapeutiques me dis-je alors. Puis elle me fait déplacer vers la gauche pour que son machin puisse mieux me percuter. Voilà tout est prêt. L'anesthésiste injecte son venin dans mon soluté, un goût répugnant se propage dans ma bouche et c'est parti. Le coup semble partir du haut pour s'abattre dans mon dos mais la sensation est comme si on me frappait à coup de marteau dans le dos au niveau du rein droit. On me frappe a un rythme régulier, l'intensité semble la même à la longue la douleur devient de plus en plus insupportable. Au bout de 10 minutes, il me semble penser que la douleur est plus intense mais l'anesthésiste se présente dans la salle en me demandant si je vais bien. Peut-être ai-je réfléchi à haute voix après tout ? « La douleur est plus intense » lui annonçai-je. Il me propose alors une nouvelle dose de venin mais qu'il ne reste plus qu'une minute au traitement. Pour une minute, je peux l'endurer lui répondis-je sans trop de conviction.

Le traitement terminé, on retire toutes les pièces Mikata ou Black & Decker qui m'entourent. Je transfères ma carcasse endolorie sur ma bonne vieille civière et on me redirige vers ma chambre. L'infirmière m'informe que je dois boire beaucoup d'eau et marcher 15 minutes dans les corridors avant d'avoir droit à une petite collation et obtenir mon congé. Dès qu'elle quitte la chambre, je me lève pour entreprendre cette marche. Le poteau qui soutient mon soluté comme béquille, vêtue de ma jaquette et de mes chaussettes, le dos arrondi, nous circulons dans un constant va-et-vient le long du couloir mais la douleur est telle que ma démarche est anormalement lente.

Au bout des 15 minutes, lorsque l'infirmière me demande comment je vais, je lui fais part de la douleur qui, semble-t-il, est tout à fait normale. Elle me propose une pilule miracle que j'avale sans rouspéter en m'allongeant sur mon lit. Je me réveil plus d'une heure plus tard avec un peu plus de couleurs au visage et une douleur plus endurable. On m'apporte une collation digne de la réputation des cafétérias hospitalières, soit pas mangeable. Un bol de crème de rien, il n'y avait que la crème, et un yogourt à rien. Heureusement, j'ai dévoré les deux biscuits sodas qui accompagnait ce somptueux repas.

L'infirmière vient ensuite m'expliquer la suite avant de me donner mon congé. La lithotripsie par ondes de choc ou LOC dans le langage médicale [oui, je sais, dans notre langage une LOC est une Letter Of Credit mais bon] vient déstabiliser la solidité de la roche. Puisqu'elle est prise dans le rein, les morceaux restent ensemble par contre, ils ne sont plus solidifiés. Il faut maintenant faire en sorte que ces morceaux se séparent pour éviter qu'ils ne se solidifient à nouveau entre eux. Il faut donc boire beaucoup d'eau, deux litres par jour, et marcher. Les résultats possibles de cette LOC sont : (1) tout se désintègre en poussière et s'évacue sans problème, (2) tout se fractionne en petits morceaux qui s'évacuent avec une violente douleur, (3) une partie constitue un morceau trop gros pour s'évacuer de lui-même alors il reste coincer dans l'urètre causant un blocage dans la vessie. Dans ce cas, j'aurai des vomissements, de la fièvre, incapacité d'uriner et un risque d'infection. Il faudra alors allez à l'urgence pour une urétéroscopie, qui consiste, bien sur, à entrer une multitude d'objets dans mon pénis afin de forcer le passage du caillou. (4) la pierre est toujours dans le rein.

Dans le cas des trois premiers options, je suis débarrassé de cette foutu pierre. Par contre, dans le cas de l'option 4, il faudra soit que je subisse une nouvelle LOC ou encore une néprhostomie percutanée ou une chirurgie rénale percutanée qui, dans les deux cas, consiste à aller chercher la pierre dans le rein, sous anesthésie générale, évidemment. Inutile de vous préciser que je bois tout près de 4 litres d'eau par jour et que malgré la douleur [qui, faut-il le préciser, m'accompagne toujours comme avant cette autre intervention], je marche tous les jours le plus que je peux, soit moins de 2 km. La suite au prochain rendez-vous !

vendredi 21 août 2009

La cystoscopie

En posant un pied à l'intérieur de l'hôpital, une étrange sensation de panique s'est emparée de moi. Comme si je venais d'entrer dans une maison hantée et que des bruits de chênes et des hurlements s'étaient aussitôt produits. Mon pouls était plus rapide et la température avait gagnée quelques degrés. De toute évidence j'appréhendais ce qui allait suivre.

À peine quelques minutes après avoir fait mon enregistrement, une infirmière m'appelle, je dois franchir les portes de la section Endoscopie de l'établissement. Comme un condamné à mort qui se dirige vers la chaise, j'avançais lentement vers cette section maudite de l'hôpital. Une fois dans l'enceinte, la jeune infirmière me demande de me déshabiller ; ce n'est peut être pas l'enfer après tout ? Mais, elle s'empresse d'ajouter : « …dans ce petit local et vous enfiler une jaquette bleue. Ensuite, vous aller vous asseoir dans cet autre local juste ici ».

En entrant dans le local juste ici, je suis frappé de stupéfaction. Onze des douze chaises sont déjà occupées par des septuagénaires et des octogénaires en jaquette bleue. L'un deux, arbore une effrayante perfusion veineuse au niveau du bras me laissant croire que son test sera plus atroce que le mien. Un par un, chacun d'eux est appelé mais jamais un seul n'est revenu.

Pour une raison que je n'arrive pas à m'expliquer, dans cette salle d'attente je ne ressentais aucune presse, aucune impatience. Je n'étais aucunement pressé à entendre mon nom. Mais ce moment devait arriver. Une charmante infirmière au visage plissé m'appela. Nous passâmes dans un autre local où elle me posa quelques questions d'usage avant de m'expliquer ce qui m'attendait :

« Pendant l'examen, le médecin introduira l'endoscope par le méat urinaire après une désinfection soigneuse des organes génitaux. Un gel anesthésique sera étalé sur l'endoscope afin de réduire la douleur. Le tube étroit est inséré dans la vessie par l'intermédiaire de l'urètre. Ce tube, de la taille d'une paille à boire, a deux canaux : un canal contenant un endoscope, un genre d'appareil photo qui permet l'examen visuel direct, et un autre canal servant à mettre des solutions pour l'instillation dans la vessie. Une fois l'endoscope inséré, le médecin, commencera son exploration en progressant lentement dans le conduit urinaire puis dans la vessie. Il visualise en totalité les muqueuses et pourra faire des prélèvements de toute lésion suspecte. »

Dans mon cerveau en panique, je m'attendait à être conduit dans une salle fermée, du type salle d'opération, où le médecin et une infirmière seraient présents pour me faire passer ce foutu test mais j'avais tort. Je suis entré dans une salle d'opération où quatre infirmières, deux préposés et trois médecins s'afféraient à différentes tâches. L'infirmière aux cheveux poivres et sels m'a demandé de m'installer sur le lit qui était à quatre pieds du sol et de poser mes genoux dans les étriers, bien sûr, en prenant bien soin de relever ma jaquette afin que je ne sois pas assis dessus. Couché ainsi, j'avais la même sensation de détente que l'on ressent lorsqu'on est dans la salle du dentiste, après qu'il ait appliqué l'anesthésie, et qu'on attend qu'il finisse de préparer son matériel pour procéder à l'extraction d'une dent.

Soudain, l'infirmière qui m'avait sommer de me coucher m'annonça qu'elle allait procéder à une désinfection soigneuse de mes organes génitaux. Elle releva ma jaquette pour bien exposer mes parties, m'avisa que ce serait froid et procéda en attrapant mon organe solidement. On aurait dit une maman qui débarbouille la bouille de son fils. Après l'application d'un gel glacé, elle m'abandonna, l'organe au vent alors que toute la congrégation présente continuait à s'afférer à toute sorte de tâches qui semblaient primordiales.

Ce n'est qu'au bout de quelques minutes, qui m'ont semblé une éternité, que le médecin, accompagné d'une poignée d'étudiants, a daigné ce présenter. Sans une, ni deux, il m'empoigna et une affreuse douleur se propagea dans l'ensemble de mon système nerveux. Si l'insertion du tube et l'injection de l'eau pour remplir ma vessie avaient été douloureux et surprenants, la suite était horriblement atroce. Le tube rigide à l'intérieur semblait être poussé vers le bas pour que mon organe soit parallèle à mon corps mais la rigidité créait une résistance. Chaque progression semblait augmentait la pression sur mes organes augmentant de façon exponentielle la douleur endurée.

Voyant mon corps totalement crispé et tendu, une spectatrice venue de nulle part s'approche de moi, place sa main sur mon épaule et me balance : « détendez-vous, plus vous êtes tendu plus c'est douloureux ». Heureusement, j'étais trop crispé et incapable de bouger car autrement mon réflexe involontaire aurait certes été de lui foutre une bonne baffe.

Enfin, quand mon visage est devenu blanc et que j'allais m'évanouir sous l'effet insoutenable de cette fulgurante douleur, le médecin a demandé à une infirmière de m'appliquer une compresse d'eau froide dans le cou et sur la tête avant de me dire : « restez avec nous c'est presque terminé ». Effectivement, peu de temps après, je senti qu'on me retirait l'endoscope et aussitôt la douleur s'est volatilisée pour laisser place à une inconfortable sensation de brûlure. La porte du local était ouverte, le médecin et ses étudiants étaient partis, j'étais laissé à moi-même, les jambes écartées avec quelques goûtes sang dégoulinant de ma verge.

Au bout d'une éternité, l'infirmière aux cheveux poivres et sels rabaissa ma jaquette pour cacher l'horreur qui venait de se produire et je fus transféré dans un autre local où l'on m'avait installé un équipement qui prend automatiquement la pression aux 15 minutes. D'une vessie bien remplie par le médecin découle une pressante envie d'uriner mais impossible de bouger avec cet appareil au bras. Quarante-cinq minutes à me dandiner sur mon siège pour contrôler mon envie et chasser la sensation de brûlure avant que le médecin vienne m'annoncer de un, que le test est négatif, je n'ai aucun problème à ce niveau et de deux, que je pouvais quitter.

Ce temps d'attente m'a permis de réfléchir longuement à ce qui venait de ce passer. Les quelques connaissances qui avaient subit ce test avant moi m'avait dit qu'ils avaient eu un sédatif avant et que le test n'était pas très douloureux, mis à part la sensation de brûlure. Pourquoi ne m'avait-on pas donné de sédatif ? La conclusion de ma réflexion est qu'un étudiant a demandé au médecin si le test pouvait ce faire à froid. Le médecin de répondre que oui mais que le patient risquerait de s'évanouir sous l'effet de la douleur. Par contre aujourd'hui, dans la salle d'attende nous avons un homme plus jeune que les autres sur lequel nous pouvons faire le test. J'imagine mal que la réponse soit qu'ils ont tout simplement oubliés.

Quoi qu'il en soit, dès avoir obtenu mon congé, je me précipite au toilette afin d'évacuer cette substance qu'on venait de m'injecter. Bien sûr, le tout accompagné d'une autre violente douleur, cette fois une sensation de brûlure qui n'en finissait plus. Si intense que j'ai du jeter un regard rapide dans la toilette pour m'assurer que n'ai pas mis le feux nulle part. Je constate qu'il y a toujours présence de sang et je quitte ce lieux maudit avec un souvenir marqué au fer rouge dans ma mémoire : il y a pire que cette satanée douleur qui m'assaille quotidiennement !

jeudi 20 août 2009

Jour 184...

Les rayons du soleil se faufilent entre les languettes des stores horizontaux pour venir chatouiller mon visage. J'ouvre les yeux, en ce matin du 184ième jours, et une étrange sensation d'un manque ou d'une absence m'envahie et dessine une expression de stupéfaction sur mon visage endormi. Elle se métamorphose rapidement en une inquiétude; que manque-t-il ? Les yeux grands ouverts, je regarde de gauche à droite dans la chambre à la recherche d'un indice qui pourrait élucider ce mystère et aussitôt c'est une émotion de surprise qui s'impose. Surpris de ne ressentir aucune douleur. C'est impossible, je dois rêver.

Je me lève doucement pour ne pas la réveiller. Je peste contre le craquement du lit qui semble produire un vacarme insupportable. Debout au pied de mon lit, nu au milieu de la chambre, la douleur dors toujours. Pour la première fois en 184 jours, je me sens bien. Une étrange sensation dont j'avais oublié le goût raffiné et exquis. Immobile, j'en savoure les moindres parcelles. Une sensation qu'on ne sait pas apprécier quand on est en santé mais qui est presque jouissive aujourd'hui, après tous ces jours d'absence.

Je prend ma douche, m'habille et descend déjeuner, je suis toujours seul, la douleur n'a pas daigné donner signe de vie. Une sensation de bonheur irradie mon cerveau et me contraint à sourire. Aujourd'hui, pour la première fois depuis si longtemps, je vais passer toute la journée debout.

J'enfile mes godasses et sort à l'extérieur pour prendre ma première marche estivale de l'année quand une violente décharge me frappe au dos, je m'effondre. D'un sursaut, je me réveille en douleur. Tout n'était qu'un rêve. La douleur est toujours là, fidèle à son habitude, elle s'est éveillée avant moi. Sa ténacité et son intensité auront bientôt raison de ma raison. Cette sensation de vivre avec une lame qui vous traverse le dos et le bas du ventre en permanence gruge tranquillement notre esprit pour nous rendre sénile. On en vient à vouloir que tout s'arrête pour ne plus rien ressentir.

Il est évident qu'encore aujourd'hui, je ne prendrai pas de marche santé mais je devrai plutôt m'étendre, comme à chaque jour, pour faire diminuer l'intensité de cette douleur enivrante. Cette sensation d'absence de douleur, même fictive et éphémère, me laisse un goût d'optimiste. Peut-être qu'aujourd'hui, je n'aurais pas envi de mettre en terme à tout ceci…