jeudi 3 septembre 2009

De l'endorphine à la morphine….

J'ai couru un 5k pour la première fois de ma vie en septembre 2005. L'année suivante, je m'étais donné comme défi de courir de chez moi jusque chez mes beaux parents; 10,5k. Une fois ce défis accompli, j'ai eu comme une piqûre : « un jour, je vais courir le marathon ». Aujourd'hui, après trois ans d'entraînement avec des périodes plus intense les quelques mois qui précèdent le marathon, la course fait partie de mon quotidien. C'est un besoin dont je peux difficilement me passer. En 2007, j'ai couru à peine deux semaines après ma blessure à la cheville [lors d'un match de hockey cosom]. Je sais très bien que c'est ce qui a retardé ma pleine guérison mais c'était impossible pour moi de ne pas courir. Ce n'est pas que j'en avais envi, j'en avais besoin. Même chose en 2008, j'ai couru tout l'été et le marathon de Toronto avec une blessure au pied droit. Je ne pouvais simplement pas arrêter six mois pour attendre une pleine guérison. C'est de la folie, dirons certains mais c'est plus fort que moi, comme si la course était une drogue avec des effets de dépendance. Tellement qu'avec 996km en 2008, je voulais fracasser la barre de 1000km en 2009.

Pourtant, je viens de terminer mon sixième moi sans courir. La douleur quotidienne m'empêche de faire le moindre effort, une douleur si vive qu'elle parvient à neutraliser ou à anéantir mon besoin de courir. Au début c'était difficile, comme si j'étais en période de sevrage. Les jours où j'allais un peu mieux, je courais un petit 5k, juste pour y goûter, pour savourer, même à petites doses, l'exquise saveur de pousser son corps plus loin. Petit à petit, les jours où je me sentais assez bien pour courir diminuaient pour finalement disparaître et laisser mon tapis roulant s'empoussiérer.

La course étant chose du passé, voici le temps des traitements. Depuis, l'introduction de matières indésirables, telle qu'une caméra, dans ma vessie par voie naturelle [ça c'est ce que dise les médecins mais je vous garantie qu'il n'y a rien de naturel dans cette intervention… voir mon article sur la Cystoscopie], je prends de la morphine. Pour être précis, je prends des comprimés de 1mg de Dilaudid soit de l'hydromorphone. Bien que je n'y connaisse rien en pharmacologie, je sais que 1mg de Dilaudid équivaut à 5mg de morphine. Il faut bien préciser, toutefois, que les effets de dépendance, ce manifestent rarement lorsque le médicament est administré par voie orale. Donc, inutile de s'en priver !

Devant les inquiétudes de mon entourage face à ma consommation « excessive » [au dire de ceux qui ne souffrent pas] de ce produit miraculeux, j'essai de réduire ou devrais-je dire de contrôler ma consommation. Ce que les gens ne comprennent pas c'est qu'à peine une dizaine de minutes après avoir ingurgité un de ses petits bonbons non seulement la douleur s'évapore mais le ciel devient plus bleu, l'air plus pure, le sourire de gens est plus radieux mais surtout je suis invincible. C'est vrai que je suis un peu étourdit, que j'ai des maux de tête et des nausées mais ce ne sont là que des inconvénients d'une banalité indigne de mention. L'important c'est la dissipation du brouillard qui masquait mon avenir. Grâce à ces effets anxiolytiques, tout est à ma porter je peux rêver à nouveau.

D'accord, il ne faut pas en abuser mais deux jours sans avaler ce minuscule comprimé et déjà je voie le brouillard s'épaissir, comme s'il était nourri par les relents de douleur qui m'accablent de nouveau. La route de l'avenir semble moins longue comme si un panneau en damier jaune et noir [de type « dead end »] venait de surgir de nul part pour aviser les automobilistes de la présence d'un précipice droit devant. Malheureusement, je n'ai pas de frein. Impuissant, j'observe le paysage défiler lentement de chaque côté. Résigné, j'accepte ma destiné. Quand soudain, j'entends un cri au loin. Un cri incompréhensible, comme un appel à l'aide. Je tends l'oreille pour mieux comprendre. C'est quelqu'un qui me supplie de l'aider. Quelqu'un qui veut mourir et me demande son assistance. Que faire, c'est immoral. Les cris se rapprochent et je distingue enfin leur teneur : c'est un comprimé de dilaudid qui me supplie de le manger.

Cet irrésistible besoin d'un comprimé me fait penser à mon ancien besoin de courir. Le même magnétisme qui t'attire, te murmure des mots apaisants et parvient enfin à te faire céder à la tentation. Est-ce à dire que la course est une drogue comparable en terme d'effet et de dépendance ? Il semble bien que oui.

La course, tout comme plusieurs autres activités sportives, favorise la libération de l'endorphine. L'endorphine est une morphine endogène [produite par l'organisme] qui est libérée par l'hypothalamus et l'hypophyse [parties du cerveau] dans les situations de stress, mais de façon plus significative pendant et après l'exercice physique. Une fois sécrétée, elle se disperse dans le système nerveux central, les tissus de l'organisme et le sang. Le taux d'endorphines produites ou libérées est directement lié à l'intensité et à la durée de l'exercice. Ainsi, il ne suffit pas de courir pour savourer ses biens fais, il faut maintenir l'effort pendant au moins une demi heure, gardant un rythme dit « confortable en endurance ». Il faut donc maintenir un rythme supérieur à 60% de ses capacités respiratoires mais être capable de tenir une conversation en courant.

L'endorphine à des effets similaire à la morphine. C'est cette drogue que les sportifs recherchent quant ils sont accro à un sport. Quand elle se disperse dans mon système nerveux, mes tissus et mon sang c'est un moment d'euphorie, de spiritualité, de puissance, de grâce, de déplacement sans effort, de vision momentanée de la perfection, de flottement dans l'irréel. À partir du 30ième kilomètre, soit [dans mon cas] après plus de 3 heures de course, lors du marathon de Toronto, je ne peux pas vous raconter ce qui me passait par la tête mais j'étais sérieusement inquiet au sujet de ma santé mental. Je n'avais plus le contrôle de mes pensés qui voguaient de : pourquoi suis-je sur cette terre à pourquoi suis-je toujours en train de courir après 3 heures ?

Le jeux des comparaison ne s'arrête pas là car, tout comme la morphine, les endorphines on des effets anxiolytiques, ce qui fait que les sportifs sont moins sujet au stress que les non sportifs. Sans trop entrer dans les notions techniques, il faut préciser que les endorphines ne sont pas les seules en cause, il y a d'autres neuromédiateurs, telle que la sérotonine, qui exerce également un rôle antidépresseur. De plus, les endorphines agissent de façon identique à la morphine en se fixant sur des récepteurs spécifiques qui bloquent la transmission des signaux douloureux et réduisent la sensation de douleur [effet antalgique]. Elles élèvent le seuil de la douleur et cet effet dure jusqu'à quatre heures après leur sécrétion. En inhibant les douleurs d'origine musculaire ou tendineuse pendant l'effort, elles me permettent de courir plus longtemps.

La question inévitable est donc : est-ce que les endorphines créent un effet de dépendance identique à celui de la morphine ? La réponse des spécialistes est unanime [enfin presque], à savoir : « Pas de tout car les endorphines sont rapidement détruites par les enzymes de l'organisme. Il s'agit d'une dépendance psychologique. Les sportifs sont très attachés aux sentiments de bien-être et de plaisir procurés par leur activité. Ils entretiennent avec elle une relation affective très forte qu'ils peuvent difficilement interrompre ».

En quête d'un peu d'endorphines, voilà que je chausse mes souliers de course pour la première fois depuis des mois. Mes mains tremblent alors que j'essaye de nouer mes lacets, mon cœur palpite dans l'anticipation de voir s'activer le mécanisme de mon tapis roulant. Je me sens comme mes fils qui se préparent pour le premier jour de la renter scolaire; anxieux mais enthousiaste. Je m'approche de mon tapis pour mettre l'interrupteur en marche, rien. Le tapis ne fonctionne pas. Aussitôt, je peste intérieurement contre mes fils qui ont sans doute endommagé le mécanisme au cours d'un de leurs jeux débiles ou lors d'un match de hockey full contact.

Je me précipite au salon pour attraper une lampe et je reviens dans ma salle d'entraînement pour vérifier qu'il y a bien du courant dans la prise. Qui sait, peut-être est-ce simplement un problème de « breaker » ? La lampe brancher, elle s'allume comme un charme. Je relève le tapis et enclenche l'attache qui le retient, je me glisse en dessous pour inspecter, à la recherche d'une évidence de dommage, rien. Je remets en marche l'interrupteur alors que le tapis est toujours relevé [en espérant que ça ne fonctionnera pas car autrement, qui sais ce qui ce produira] mais j'entend un petit déclic qui confirme que le courant passe. Je retire l'attache et dépose le tapis au sol. Dès que je monte dessus, l'évidence me frappe au visage comme un ballon de basket égaré par une bande de jeune. Je réalise alors que ça fait bien trop longtemps que je n'ai pas mis les pieds sur cette machine. Les tapis possèdent un petit gadget qui sert de protection et en cas de problème, il suffit de tirer dessus pour couper le courant. Je replace donc ce petit gadget et tout s'allume. Je suis enfin près à entreprendre ma course.

Suite à une si longue période d'abstinence, je débute avec un réglage bien simple, vitesse à six mile à l'heure [6,22 mile à l'heure équivaut à 10 km à l'heure] et c'est parti. Les 30 premières secondes consistent à signaler à mon cœur que je suis en entraînement et qu'il doit s'activer. Au bout de 2 minutes, il y a quelque chose qui cloche. Ma respiration est trop lourde et mon cœur se débat anormalement. À la troisième minute, toujours avec le même sentiment de détresse, je réduit la cadence à cinq mile à l'heure [ce qui est bien trop lent pour un véritable coureur]. Mon système ce replace et me voilà véritablement en marche. J'augment graduellement la vitesse pour enfin revenir à six mile à l'heure.

À la onzième minute, je suis à bout de souffle. À cette vitesse, je devrais normalement pouvoir facilement entretenir une conversation sur une période de 2 heures mais après onze minutes, je suis à bout. Mon dos me fait terriblement mal et je dois admettre, à contre cœur, que je vais devoir abandonner mon projet de faire un petit 5km pour me remettre dans le bain. Je décide de compléter mon deuxième kilomètre et j'arrête mon tapis. Les mains sur les bidules qui captent mon rythme cardiaque, la tête légèrement penchée en avant, je récupère mon souffle en observant mon menton qui dégoûte sur le tapis. Je suis découragé et certes pas convaincu qu'il n'y a pas des larmes parmi les gouttelettes qui perlent sur mon visage. J'ai peine à soulever ce corps qui ne m'obéit plus pour quitter l'enceinte où jadis, je vivais. La douleur est toujours là, fidèle compagnon qui ne m'abandonne jamais. Quittant la pièce en titubant, je lance un dernier regard à mon tapis éteint. Adieux les endorphines, vivement la morphine.

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